Elles s’appellent A2ROO à Dijon, VéloConnect à Besançon et Kooklof ! à Strasbourg. Ces trois coopératives de livraison à vélo prennent le contre-pied des plate-formes mondiales Uber Eats ou Deliveroo. Elles se différencient d’abord par le salariat de leurs livreurs. La fédération CoopCycle à laquelle elles adhèrent, leur donne accès à un logiciel de gestion des commandes et des livraisons dont la licence est réservée aux entreprises de l’économie sociale et solidaire.
Imaginée dans le cadre du mouvement « Nuit debout », l’association CoopCycle fédère une soixantaine de groupements de livreurs, en France et dans le monde, autour de son logiciel de gestion des commandes. L’objectif est de faire émerger des possibilités de livraisons à vélo sociales et solidaires, où les coursiers gardent le contrôle, loin du « moins-disant social » des plate-formes de livraisons dominantes Uber Eats ou Deliveroo.
Depuis quelques semaines à Dijon et à Besançon, et l’automne dernier à Strasbourg, il est possible de commander des repas chauds chez certains restaurateurs, et de se les faire livrer par des coursiers pas tout à fait comme les autres. Regroupés en association ou coopérative, les membres de A2ROO à Dijon, VéloConnect à Besançon et Kooklof ! à Strasbourg, livrent en vélo cargo électrique, ce qui assure que les plats ne seront pas secoués à dos d’homme.
Mais c’est surtout le modèle économique, et la gouvernance du service, qui les distinguent des grandes plateformes mondiales comme Uber Eats ou Deliveroo. « Nous salarions nos livreurs, payés à un taux horaire, et pas à la course. Nous leur assurons ainsi une meilleure situation sociale, tout en proposant un service qualitatif et réellement écologique », décrit Xavier Caron, qui a fondé A2ROO à Dijon avec Bruno Giraud, un « ancien » d’Uber Eats.
Ces coursiers à vélo s’appuient, pour leur développement, sur un modèle original. Leurs associations respectives appartiennent à une fédération internationale, elle aussi associative, nommée CoopCycle, qui a initié ce projet de livraison sociale et solidaire dans le cadre du mouvement politique « Nuit debout », en 2016. « CoopCycle est né de la rencontre du syndicaliste Jérôme Pimot et du développeur Alexandre Segura, qui a conçu le logiciel au cœur de notre plateforme », explique Paul Balmet, l’un des vingt membres de CoopCycle.
Le logiciel, qui centralise les commandes et répartit les livraisons, constitue le trésor de guerre de l’association, qui le protège en inventant une licence inédite « Coopyleft ». Le code source du logiciel est accessible sur GitHub, une plate-forme de stockage de programmes informatiques, mais son utilisation se voit restreinte aux structures répondant à la définition de l’économie sociale et solidaire, dotées d’un modèle de gouvernance coopératif et de salariat des livreurs. « Cette licence militante nous permet d’éviter que notre logiciel ne soit utilisé par des entreprises commerciales classiques », commente Paul.

dites du dernier kilomètre, de toutes sortes de marchandises et depuis quelques mois, livre aussi des repas chauds de la restauration.
© VeloConnect
L’idée séduit, et début 2018, CoopCycle accueille ses premiers regroupements de livreurs, Molenbike et Rayon9, tous deux belges. En adhérant au modèle, ceux-ci bénéficient du logiciel, mais aussi du support juridique apporté par l’association, ainsi que d’un espace de discussion entre livreurs. Deux années plus tard, CoopCycle regroupe une soixantaine de structures de livraison, dans 7 pays, avec environ 250 coursiers et réalise un chiffre d’affaires en 2020 de l’ordre de 2 millions d’€, dont 80 % vont au salaire des coursiers.
CoopCycle entend désormais asseoir son modèle économique durablement, et « passer le projet au collectif », en formant une société coopérative d'intérêt collectif (SCIC), qui vivra des cotisations de ses adhérents. Car pour l’heure, le budget de CoopCycle dépend pour près de 80 % de subventions publiques, notamment de la mairie de Paris qui lui a attribué le prix 2018 des Trophées de l'Économie sociale et solidaire.
La mue est lancée, mais elle s’opère au rythme forcément lent des prises de décisions horizontales. « Nous organisons tous les ans des rencontres internationales où nous élaborons notre modèle de gouvernance, et de calcul des cotisations des membres. Outre la création de la SCIC, nous travaillons également à la féminisation des effectifs de nos coopératives, qui sont à 87 % masculins », précise Paul.
Chaque structure – association, fédération principalement –adhérente à CoopCycle définit son propre modèle économique.
À Dijon, A2ROO travaille avec sept restaurateurs. La prestation est facturée 7 € pour une course de base et 12 € pour les plus volumineuses effectuées en vélo cargo, 60% à la charge du client, et 40% payés par le restaurateur, qui consent également un petit pourcentage sur le montant de la commande. La moitié des recettes est affectée aux salaires, charges comprises ; l’autre à la gestion, les locaux, l’entretien des vélos – les cargos et les électriques appartenant à l’association, les classiques étant prêtés par la société Burgundy Bike, en Côte-d’Or.
Ramenée à l’unité, la part du salaire net dans le prix de la course n’est forcément beaucoup plus importante (tout dépend du tarif) qu’avec les plate-formes type Uber, mais la grande différence est que les coursiers bénéficient d’une protection sociale et d’un salaire fixe mensuel, quel que soit le nombre de livraisons effectuées.
A Dijon, pour l’instant, ils sont à mi-temps, en attendant un développement du volume des commandes.
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