Géographe devenu fabricant de globes terrestres artisanaux, Alain Sauter a retrouvé les gestes de ce métier disparu et réinventé certaines techniques. Il vient d’embaucher une collaboratrice et son carnet de commandes est plein. Reportage dans un atelier où tout est fait main, ou presque.


L’atelier est discrètement installé dans une cour proche de la rue de Belfort, à Besançon. Une surface de 120 m2 où Alain Sauter s’est installé en janvier 2019 et où il a pu organiser l’espace. Cette année-là, sa production est passée à 100 globes fabriqués (50.000 € de chiffre d’affaires), et il vise 150 pour l’année 2020. Un passage dans l’émission « La Maison France 5 », début 2019, a rempli le carnet de commandes en une soirée, et l’artisan d’art raisonne maintenant manufacture.

Au fond, à droite, l’atelier plâtre, où sont formés les globes à partir de demi-sphères de quatre calibres différents, de 23 à 80 centimètres de diamètre, qui servent de moules. C’est là que tout commence. La technique est celle du staff : différentes couches de toiles de jute sont disposées sur la demi-sphère puis imprégnées de plâtre. La dernière est plus épaisse, et le passage d’un couteau traîné sur un axe ajuste le demi-globe à la perfection.
« Si on a un millimètre d’erreur sur le moule, on va la multiplier par le nombre Pi et se retrouver, à la fin, avec plus de 3 millimètres de décalage », explique le géographe devenu artisan. « Toute la difficulté est là, dans ce besoin d’extrême précision sur une matière très brute. »


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L’assemblage des deux demi-sphères est tout aussi délicat. Alain Sauter a passé six mois à mettre au point sa propre technique, qu’il garde secrète, et qui n’ajoutera pas de matière sur l’Equateur. « Il a aussi fallu trouver le bon plâtre et comme pour tous mes matériaux, je choisis des fournisseurs français si je peux. Le plâtre, l’emballage carton, le papier et le matériel beaux-arts, tout vient de France. Pas par chauvinisme mais par souci d’impact environnemental. »
La sphère est ensuite enduite d’un mélange de savon noir et d’huile de lin qui va l’isoler, puis poncée. Elle peut alors rejoindre l’atelier principal en passant devant l’atelier menuiserie, où Alain Sauter fabrique socles et supports.


Au Château d'Amboise, au sein d'une exposition sur les princes voyageurs

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Ponçage du globe fabriqué à partir de deux demi-sphères avec la technique du staff qui consiste à additionner les couches de toile ensuite enduites de plâtre.  © Laurent Cheviet
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Les cartes sont fabriquées avec un ordinateur et un traceur, l'artisans choisissant selon la commande de mettre en valeur certains éléments géographiques. © Laurent Cheviet
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Opération de collage de la carte imprimée sur un papier extensible, par Cécile Blary, graphiste. © Laurent Cheviet

La partie bureau est au fond. C’est là que le géographe de formation va fabriquer ses propres cartes, avec un ordinateur et un traceur pour les imprimer. Les données géographiques sont dans le domaine public. Alain Sauter les met en page et choisit les villes et les fleuves qu’il veut mettre en avant.
« Je mets très peu de villes pour laisser de la place aux traits des côtes marines et j’ajoute parfois un village si le client le demande. Ensuite, l’objectif est de fabriquer des fuseaux qui vont s’adapter au galbe de la sphère, on n’a pas d’autre choix. Toutes les cartes informatiques sont rebasculées sous formes de fuseaux. »

L’étape suivante, le collage, est également très délicate. Cécile Blary, une graphiste reconvertie à la fabrication de globes, arrivée en octobre 2019 pour un CDD transformé en CDI le 1er avril, progresse dans l’exercice. Le papier 80 grammes est extensible – en longueur seulement – pour bien s’adapter. Il faut ensuite ajouter les couleurs à l’aquarelle à l’aide de deux pinceaux : l’un pour le pigment, l’autre pour l’eau.
C’est là que l’artisan et sa nouvelle recrue peuvent exercer leur talent d’artiste. « Pour les premiers, j’étais en apnée », avoue Cécile Blary. Pour le choix des couleurs, Alain Sauter a créé une gamme de neuf palettes à partir de ses souvenirs de voyage : turquoise et sable pour Caibarién, Iroise pour un bleu très breton, gris et bleu acier pour Kronenbreen, jaune et rose pour Chilime…


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Cette fin juin, le gros globe de parquet qui s’apprête à rejoindre le château d’Amboise (où est enterré Léonard de Vinci) affiche des couleurs sépia pour coller à l’exposition sur les princes voyageurs au 16e siècle dans laquelle il va prendre place. Alain Sauter a repris les cartes d’époque en se plongeant dans les archives et se prépare à la livraison de cet objet hors du commun comme à un beau voyage. 

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Peinture à l'équarelle à l’aide de deux pinceaux : l’un pour le pigment, l’autre pour l’eau. © Laurent Cheviet

 

Qui est Alain Sauter ?

Ce géographe de 37 ans a fait ses études à Besançon où il a soutenu une thèse sur les paysages et les politiques publiques. Maître de conférence pendant six ans à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il lui manquait quelque chose. « Je faisais beaucoup de cartographie sur ordinateur et la géographie se rapprochait de plus en plus des statistiques, il n’y avait plus le côté exploration. »

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Avec la fabrication de globes, Alain Sauter dit avoir retrouvé la partie exploration de la gégraphie qu'il enseignait. © Laurent Cheviet

Un jour, en préparant un cours, il découvre que l’équipe de Bellerby and Co, à Londres, serait la dernière au monde à fabriquer des globes à la main. « C’était fou ce métier qui disparaissait. Mon premier réflexe a été de me demander si je serais capable d’en faire un. »
Le défi s’est transformé en coup de foudre : le métier rassemblait la géographie, le travail manuel, l’art et la poésie, tout ce qu’il aimait. La mise au point d’un « produit présentable » lui a pris un an et demi.
Pour gagner du temps, il a décortiqué les gestes vus dans une vidéo de Bellerby and Co, dans des archives de la BBC, dans de vieux ouvrages des Arts et métiers sur le plâtre.Et en 2016, il franchissait le pas, lançait sa petite manufacture, Globes Sauter, et lâchait deux ans plus tard son métier d’enseignant exercé en parallèle.

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