INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE. Lorsqu’une entreprise fait appel aux services d’Iryo, société spécialisée dans l’intelligence économique (*) basée à Colmar (Haut-Rhin), Pierre Leboeuf, son fondateur et dirigeant, s’amuse d’un petit test juste avant le premier rendez-vous.

« Je rentre dans les locaux sans passer par l'accueil et sans me faire remarquer, puis ressors si possible avec un document confidentiel pris dans le bureau du dirigeant ou du comptable », explique-t-il.

Neuf fois sur dix, il y parvient sans trop de difficultés. Dans le langage policier, ces entreprises s’appellent des « bergeries » ou traduction faite, de véritables passoires à information. Et elles sont légion.

Pierre Leboeuf et son associée Delphine Kieger donnent ici quelques conseils précieux pour, protéger les informations stratégiques, prévenir les risques et accompagner la prise de décision.

 

Iryo
Delphine Kieger et Pierre Leboeuf qui a souhaité poser de dos par souci de discrétion. ©Traces Écrites.

 

• Qui êtes-vous Pierre Leboeuf ?

 

Un détective privé, diplômé pour exercer ce métier et agréé par le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), établissement public administratif placé sous tutelle du ministère de l’Intérieur.

Si 30% de ma clientèle relèvent de particuliers, les 70% restants sont des chefs d’entreprise. Pour ce type de missions, j’interviens régulièrement avec huit autres spécialistes de l’intelligence économique dans le cadre de la société Iryo que je préside et que j’ai co-fondée avec Delphine Kieger, en charge du développement et des relations entre les partenaires.

Je précise que nous ne faisons pas d’espionnage, mais essayons surtout de l’empêcher, et que nous restons évidemment dans un cadre strictement légal.

Nos spécialités sont : le renseignement, la cyber protection, l’accompagnement de personnel dans des pays à risques, la e-réputation, la gestion de crise, la géolocalisation, la vidéosurveillance, la protection des bâtiments et le conseil juridique, notamment en matière de ressources humaines.

 

• Quel est le principal risque en matière d’intelligence économique ?

 

Dans plus de 80% des cas, la disparition - perte ou vol - d’informations sensibles est liée au facteur humain. Déjà, parce que l’on verrouille rarement comme il le faut les recrutements à haut niveau, pensant que le pedigree suffit, et quasi jamais ceux du bas de l’échelle. Ensuite parce qu’on ne met pas en place les bonnes procédures d’accueil et d’encadrement.

Je prends l’exemple classique du stagiaire et pas forcément chinois. Combien de dirigeants ou de DRH passent un coup de fil à l’école qui le forme ? Lui fait-on signer une charte informatique adaptée au poste qui sera le sien ? Lui donne-t-on un badge qui interdit certains accès, notamment celui du service recherche et développement ?

Autant de règles simples à respecter, comme celle également de l’accueillir et l’accompagner, au lieu de lui dire dès son arrivée, exemple vécu, d’attendre dans le bureau du patron qui vient dans quelques instants.

Ou encore, de le confier à l’assistante commerciale qui lui donne, avant qu’il en ait un, son propre mot de passe informatique ouvrant toutes portes pour consulter le fichier clients, celui des prospects et les contrats en cours.

Je terminerai sur ce point pas l’absolue nécessité de valider le rapport de stage afin de ne pas se retrouver dans la situation de ce patron de PME, éberlué d’entendre décrire par le menu sa stratégie commerciale devant ses principaux concurrents qui faisaient partie du jury lors de la soutenance.

 

banniere-635x102

 

• Plus généralement, comment intervenez-vous dans ce genre de situation si l’entreprise a un doute sur l’un de ses collaborateurs ?

 

Je me fais fictivement embaucher et le confond. Dans 90% des situations, l’infiltration, c’est-à-dire le travail sur le terrain, est indispensable. Dans un autre registre, j’ai le cas de ce dirigeant de PME qui voit arriver après plusieurs contacts sérieux une commande très importante de l’étranger.

Son entreprise ne va pas fort et elle lui offre une bouffée d’oxygène. Alors qu’il a tout vérifié et que tout paraît normal, il a des soupçons de dernière minute avant d’envoyer la marchandise.

Tout semble, en effet, parfaitement normal administrativement, je prends donc un vol pour cette destination pas très éloignée et constate que le siège social de la société en question est une simple cabane au milieu d’un champ.

 

• Que faire pour pallier ce manque de culture à la sécurité ?

 

La réponse est toute simple : former son personnel. Éviter que la standardiste comme la secrétaire en disent trop au téléphone sur telle ou telle personne-clé.

La venue d’un technicien pour assurer la maintenance des photocopieurs mérite toujours une vérification scrupuleuse. Car il est tellement simple de se faire passer pour l’un d’eux et dupliquer discrètement la carte mémoire.

De même, une société de nettoyage fera toujours l’objet d’un contrat de confidentialité et le contenu des poubelles ne passera plus au broyeur mais au brûleur.

L’équipe commerciale, toujours très volubile, apprendra, de son côté, à coder le nom des clients lorsqu’elle est à l’extérieur. Si vous saviez ce que l’on apprend au bar d’un TGV ou dans une rame de première classe.

Pardonnez-moi cette recommandation, mais si un journaliste vous contacte par téléphone pour une interview, prenez le temps de le rappeler après avoir vérifié (contact@ccipj.net) si son nom correspond bien à son numéro de carte de presse et pour quel media il travaille.

 

Ecole des vins

 

• N’êtes-vous pas déformé par votre métier à voir le mal partout ?

 

Je ne suis ni mytho ni parano et encore moins dépressif. Nous vivons en guerre économique et passons par manque de lucidité pour des Bisounours.

Que dire de la participation à des salons professionnels. Quel endroit rêvé, en France comme à l’étranger, pour faire son marché d’informations stratégiques !

Vous vous absentez quelques instants pour soulager un besoin naturel en laissant votre ordinateur sur le stand. Votre collègue est occupé et plusieurs personnes arrivent en même temps. Une clé USB bien spécifique le siphonne en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.

Pareil pour le téléphone portable qu’il ne faut en aucun cas connecter au Wifi du salon, trop intrusif, et ne jamais laisser en mode Bluetooth. On peut même avec certains logiciels en vente libre écouter vos conversations à distance qu’on connaisse votre numéro ou pas.

Dans les deux cas, je suggère même d’emporter un téléphone basique et vide de toute donnée, ainsi qu’un ordinateur portable propre au salon avec le port USB bouché.

Il convient par ailleurs de bien se renseigner sur la politique sécuritaire du pays d’accueil du salon si vous présentez du matériel. Et ce, pour éviter qu’il ne soit opportunément bloqué en douane 48 heures, durée idéale pour l’étudier minutieusement.

Quel que soit l’endroit, ne jamais emporter des équipements, un film de présentation aux images maîtrisées doit suffire comme support d’argumentaire.

Attention enfin de ne rien laisser d’important dans les chambres d’hôtel, notamment en Asie, et en premier lieu dans les coffres. Les personnels de service comme de sécurité sont d'une redoutable efficacité.

 

• On se retrouve à vous écouter plongé dans le feuilleton américain Person of Interest...

 

La réalité dépasse parfois la fiction.

Ah, j’oubliais de vous dire de nettoyer souvent la vitre de l'écran votre portable. A force de taper le code, les empreintes digitales marquent et l’indiquent.

 

(*) De nombreuses CCI du Grand Est, dont celle de Côte-d'Or, organisent des réunions de sensibilisation avec des spécialistes de l'intelligence économique, gendarmes spécialisés et policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) notamment.

Commentez !

Combien font "9 plus 3" ?