AVIS D’EXPERT/ALSACE-MOSELLE. La baisse du nombre d’accidents du travail avec arrêt masque une réalité. Les risques psycho-sociaux, non reconnus comme maladie professionnelle, étaient quasi inexistants en France il y a quinze ans. Ceux liés aux horaires atypiques se développent de manière importante. Le point avec le Dr Françoise Siegel, médecin du travail référent d’AST du Bas-Rhin.

 

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Dr Françoise Siegel, médecin du travail référent d’AST 67 : « Ce qui nous préoccupe, c’est la montée des chiffres dans ce qui n’est pas classé aujourd’hui en maladie professionnelle et qui est susceptible d’être reconnu le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. » © Traces Écrites.


Alsace Santé au Travail 67 est le nom du service de santé au travail interentreprises du Bas-Rhin. Il a le statut d’association à but non lucratif, à conseil d’administration paritaire patronat/syndicats. Présidé par Jean-Claude Schurch, il exerce sa mission au sein de 41 centres auprès de 240.000 salariés de 19.000 entreprises adhérentes dont 80 % emploient moins de 10 personnes. Questions à Dr Françoise Siegel, médecin du travail référent d’AST 67.

 

• Quelles sont les évolutions de la santé et la sécurité au travail en Alsace-Moselle ?


Le nombre d’accidents du travail avec arrêt a diminué de 11 % entre 2011 et 2016 et en conséquence, le taux de fréquence est passé de 43 à 33,8 dans durant cette période.
Le nombre des maladies professionnelles a également baissé, de 8 % sur la période 2014-2016, avec un fort recul des décès liés à ces maladies (- 22 %) et une relative stabilité (- 2 %) des incapacités permanentes partielles (IPP). En revanche, le nombre de décès liés aux accidents du travail, qui avait baissé depuis 2011, est remonté, et de façon significative :  + 41 % de 2014 à 2016.

 

• Quelles réalités traduisent ces chiffres ?


Il y a une amélioration globale, étant donné que ces évolutions sont observées à périmètre constant, puisque les effectifs salariés, dans le même temps sont restés stables. Les démarches de prévention se développent dans les entreprises. Les grandes semblent désormais parées, l’effort doit encore être poursuivi par les PME et les TPE… notre structure AST 67 est  là pour les accompagner. Mais rien n’est jamais gagné, il faut rester vigilant en permanence, en témoigne la statistique de remontée des décès liés aux accidents. Elle résulte notamment de chutes de hauteur, qui affectent en particulier le BTP.
Ce qui nous préoccupe, c’est la montée des chiffres dans ce qui n’est pas classé aujourd’hui en maladie professionnelle et qui est susceptible d’être reconnu par le CRRMP, le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. 


Au titre de ce qui s’appelle l’alinéa 3, à savoir des maladies pour lesquelles des tableaux existent mais qui ne sont pas reconnues car l’ensemble des conditions pour l’être n’est pas rempli, il y a eu en Alsace, 1.112 demandes de reconnaissance en 2017, déposées auprès CRRMP. Pour l’alinéa 4 correspondant à l’absence de tableaux, on en est à 262. Dans les deux cas, il faut noter la proportion d’avis favorables proche de 50 %, ce qui est significatif. En France, au cumul de ces deux catégories, le nombre de dossiers a été multiplié par 2,7 en dix ans. L’Alsace se situe dans les mêmes tendances : 40% des avis sont favorables.

 

 

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• Quels sont ces pathologies en hausse importante ?


Clairement, les cancers et les risques psychosociaux (RPS). A côté des cancers reconnus dans les tableaux de maladie professionnelle pour certains métiers,  939 dossiers ont été déposés au CRRMP en 2017. Le cancer du sein n’y apparaît pas, alors que des études scientifiques font le lien avec le travail de nuit des femmes.

Les risques psycho-sociaux (RPS) sont la nouveauté. Ils étaient quasi inexistants en France en 2003 :  on recensait alors 50 demandes au niveau national. Quinze ans plus tard, nous en sommes à 1.700.

Il faut y voir notamment  la conséquence de la course à la rentabilité et à la compétitivité dans de nombreuses entreprises, de l’individualisation de la société, des exigences de clients et usagers qui veulent tout plus vite.  

 


• Pourtant, malgré un débat intense, les risques psycho-sociaux ne sont pas reconnus comme maladie professionnelle.


Oui, mais la question n’est pas close. Historiquement, on constate que la multiplication d’avis favorables devant les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles débouche sur une inscription au tableau des maladies professionnelles. Or on en est à plus de 50 % en France.

 

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Les travaux en hauteur demeurent les sources d'accidents mortels du travail le plus nombreux dont les chiffres remontent.© Traces Écrites.


• Vous avez organisé le 13 novembre dernier, un forum pour marquer les 70 ans d’AST 67. Quels étaient les thèmes principaux ?


Nous avons parlé du burn-out et notamment de celui des dirigeants, souvent nié ou sous-estimé alors qu’il se répercute sur l’ensemble des salariés. La qualité de vie au travail nous a occupés aussi, de même que la prévention dite « primaire » des risques  (c’est-à-dire faire en sorte de ne pas exposer les salariés au risque), les obligations et enjeux juridiques liés à l’inaptitude au travail, ainsi que l’enjeu du maintien dans l’emploi : comment préparer une personne absente un certain temps à un retour optimal dans l’entreprise ?

 

 

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• Quel serait, en fin de compte, le « palmarès » des pathologies et risques en entreprise ?


Le premier risque reste les TMS, les troubles musculo-squelettiques, ils représentent 75 % des maladies professionnelles. Ils sont suivis par les risques psychosociaux.

Les risques chimiques sont de loin les plus sous-estimés (ils ne se trouvent pas que dans des bouteilles !) avec notamment  l’exposition aux risques cancérogènes, ainsi que les risques liés aux perturbateurs endocriniens. 

Enfin, ceux liés aux horaires atypiques se développent de manière importante. D’autres questions ne cessent d’émerger : par exemple l’industrie 4.0 et la numérisation, ou encore l’exposition excessive à la lumière bleue des ordinateurs et son lien présumé avec la DLMA (dégénérescence maculaire liée à l’âge).

 


• Comment améliorer la prévention, en quelques mots ?


Bien sûr,  la vigilance de tous les instants, la culture d’entreprise sont importants. Mais j’aurais tendance à dire que la base de tout, c’est quelque chose qui ne date pas d’hier, mais qui devrait être cultivé dans toute entreprise, et qui tient en deux mots : dialogue social. Car in fine, la santé au travail c’est l’affaire de tous : ça ne sert que si l’on s’en sert ! 

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