SIDÉRURGIE/HAUTE-MARNE. Corbeilles, potelets, bornes en tout genre, fontaines, bancs, chaises, barrières, supports à vélo, grilles, corsets d’arbre, statuaire, kiosques à musique ou encore candélabres : la fonderie GHM de Sommevoire, spécialisée notamment dans la fonte moulée, élabore des gammes complètes de mobilier urbain en s’associant souvent à de grands designers.

 

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Une coulée de fonte avec rejets de gaz enflammés. © Traces Ecrites.

 

Tout ici est lumières, odeurs et bruits distinctifs d’une activité ancestrale qu’exercent des hommes aux gestes précis et à la parole sobre. Pénétrer dans l’atelier de moulage de l’entreprise GHM à Sommevoire (Haute-Marne), c’est changer d’univers, partager un instant les exigences d’un métier rude, s’imprégner d’un savoir-faire complexe et aimer le travail bien fait.

Les techniques de fabrication n’ont guère changé depuis le premier tiers du 19ème siècle, puis plus tard avec le célèbre Antoine Durenne (1822-1895) qui réalisa ici, entre autres, l’éléphant pris au piège et le cheval tirant sa herse de Pierre Louis Rouillard, qui ornent le parvis du musée d’Orsay. Et combien d’autres oeuvres de l’art animaliers, mais aussi fontaines et statues.

 

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La mise en oeuvre est très technique et mérite qu’on s’y attarde un peu. En métallurgie, la fonte est un alliage de fer riche de 2,1 à 6,67% (maximum) de carbone. Le sidérurgiste peut aussi travailler la fonte d’aluminium et d’alliage de bronze.

Tout démarre d’un modèle à l’origine en plâtre, issu d’un original modelé dans de l’argile. Il peut être aussi en métal et pour des pièces de série, en résine ou en élastomère. Antoine Durenne a fait appel à des artistes connus, Hector Guimard, chantre de l’art nouveau (voir absolument quelques-unes de ses réalisations au musée de Saint-Dizier), ou encore Frédéric Auguste Bartholdi à qui l’on doit, notamment, la statue de Liberté et le Lion de Belfort. Dans cette veine, GHM n’hésite pas aujourd’hui à s’entourer de designers et urbanistes célèbres comme Jean-Michel Wilmotte.

 

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Pas moins d'un millier de modèles en plâtre sont réunis au Paradis, principalement pour de la statuaire religieuse. © Traces Ecrites.

 

 

Le fonds de modèles de Durenne entré au Paradis

 

C’est une véritable caverne d’Ali Baba vouées à la statuaire. Pas moins d’un millier de « chefs modèles », les premiers tirages en plâtre qu’on l’on moulait ensuite pour les transformer en pièces de fonte, ont trouvé refuge au centre du bourg de Sommevoire grâce à une poignée  passionnés, Les Compagnons de Saint-Pierre.

A la fin des années 1980, la collection de l’usine GHM déménage ici pour être visible du public. Les lieux sont baptisés « le paradis » car ils abritent une quantité de Christ, sainte Vierge, anges Gabriel…, la statuaire la plus souvent réalisée à l’époque d’Antoine Durenne, le maître de forges qui s’est établi au 19ème siècle à Sommevoire, et dont la tradition métallurgique perdure avec l’entreprise GHM.

Joël Hauer, président de l’association, ne compte pas son temps pour répertorier cette collection éclectique et la compléter. Attentif à toutes les ventes d’oeuvres d’art, il rapatrie chaque fois qu’il le peut les modèles sortis des anciennes forges de Durenne. Comme celui de la statue équestre de Jeanne d’Arc sculptée par Georges Halbout du Tannay, retrouvé à Alger et dont la statue trône aujourd’hui à Vaucouleurs (Meuse).

Bartholdi, Hector Guimard, Emmanuel Frémiet… des sculpteurs renommés qui ont laissé des oeuvres à Londres, Wahington, Edimbourg... côtoient des anonymes et d’autres devenus célèbres comme Edouard Drouot, qui jeune mouleur rectifia une erreur du Cheval à la herse du sculpteur Pierre louis rouillard, aujourd’hui sur le parvis du musée d’Orsay. Sa Vénus trône quant à elle depuis septembre dernier, sur la place du village de Sommevoire.

A la belle saison, des stages de techniques de modelage et de moulage sont organisés, en complément des visites guidées. C.P.

 

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Joël Hauer, président de l’association Les Compagnons de Saint-Pierre et gardien du Paradis, devant une toile photographique du site GHM à l'époque d'Antoine Durenne. © Traces Ecrites.

 

Sans modèle donc, pas de fonte d’art ou d’ornement. Aussi est-il placé délicatement dans un châssis en deux parties ce qui permet de prendre son empreinte extérieure comme intérieure. Le travail du mouleur commence. Il faut plusieurs années d’apprentissage et de pratique, surtout pour la rénovation des statuaires, les kiosques à musique et les fontaines monumentales, ou plus petites, comme les Wallace, qui ornent parcs et jardins.

Le mouleur calcule son plan de joint, œuvre avec un sable siliceux mélangé à de la résine, aménage des chenaux de coulée et les évents pour la sortie des gaz. Il travaille à la motte battue pour les pièces les plus complexes où les plus petites en composant des éléments en sable qui sont assemblées, montées et remontées (dépouille et contre dépouille) pour restituer l’empreinte extérieure.

 

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Fondeur mais aussi chaudronnier

Avant la coulée, une étape importante consiste à fabriquer un noyau en sable, suspendu dans le moule pour laisser passer la fonte en fusion sur un centimètre lorsque la pièce est creuse. Ce dernier est enduit d’une couche de graphite pour éviter toute adhésion.

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Un mouleur ici en action sur une statue de cerf. Ce savoir-faire nécessite des années de formation et de pratique © Traces Ecrites.

 

Et puis, un autre spectacle commence. Le plus spectaculaire sans doute. C’est la coulée. On transporte le métal en fusion à 1.400°, voire 1500°, dans des poches, on le verse dans le moule par l’écheneau et là, le feu d’artifice explose en une féerie de couleurs allant du jaune laiteux à l’oranger. Le liquide s’arrête à l’évent (trop plein) que l’on allume pour faire partir les gaz. C’est tout simplement magnifique car millimétré de justesse comme une chorégraphie.

Si l’on traverse ensuite la route centrale de ce vaste site d’une dizaine d’hectares dont près de trois couverts, employant 400 personnes, on atteint l’atelier de parachèvement où se pratiquent la grenaillage et l’ébarbage. Ce dernier terme désigne l’acte d’ôter le superflu avec des meuleuses. Il faut être costaud et pour le moins dextre à enchaîner les pièces, rendues ensuite dans un état parfait.

 

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L'ébarbage de pièces en fonte où l'on retire toutes les aspérités et le superflu à la meuleuse. © Traces Ecrites.

 

A Sommevoire, GHM est également chaudronnier – façonnage du métal à froid – pour des pièces en tôles pliées et soudées comme des mâts, pylônes et candélabres, ce qui pèse deux tiers de son activité. Les supports poteaux des caténaires des tramways de Dijon, Besançon et Nancy, sortent d’ici.

Éric Blondeau, guide de la visite, est le responsable du service des méthodes. Il n’hésite pas à indiquer que « le produit manufacturé français fait rêver la monde entier. » et de préciser : « nous avons grâce à cette notoriété installé une fontaine monumentale au sein d’une vaste usine chinoise. » Numéro un français de son secteur, GHM dépasse les 80 millions d’€ de chiffre d’affaires.

 

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© Traces Ecrites.

 

L’entreprise appartient au groupe Agora Technologies qui possède également les sociétés Les Fontes d’Art de Dommartin (produits en fonte pour les particuliers) ; Éclatec, à Nancy (luminaires) ; Metalec, à Mirecourt, dans les Vosges (éléments de Lanternes) et enfin Terres Touloises Technologies, à Toul, en Meurthe-et-Moselle (composants métalliques et composites). L’ensemble emploie plus de 750 salariés et frise les 145 millions d’€ d’activité.

 

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Au cœur d’un haut-fourneau à Metallurgic Park

 

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La vénus d'Edouard Drouot et une fontaine Wallace. © Traces Ecrites.

 

Qui aime le tourisme industriel, en prendra plein les yeux et les oreilles au Metallurgic Parc de Dommartin-le-Franc, à une dizaine de kilomètres de Sommevoire. Un ancien haut-fourneau de 1834 converti en centre d’interprétation, illustre l’activité métallurgique passée, mais toujours présente, de cette région de Haute-Marne où la forêt pour le charbon de bois, l’eau pour l’énergie hydrolique et les mines pour le minerai de fer, ont façonné des vallées entières, forgé des mentalités et imposé une culture où le sang et la sueur tenaient lieu de credo.

La visite faite par Clément Michon, le conservateur, offre une plongée au coeur de la révolution industrielle pour s’achever à la Belle Époque. Tout commence par le parc à minerai et son théâtre mécanique. D’autres espaces montrent l’ancienne halle à charbon, le moulin, le chemin rampant, mais surtout la halle à coulée où trône un haut-fourneau.

Chacun - deux équipes de 30 ouvriers à l’époque - y avait un rôle bien établi, du maître fondeur, au sableur, en passant par le charretier, le chargeur et le mouleur, sans parler du patouilleur et du bocaleur. Et que du dire du goujat, celui qui servait à tout faire. Le spectacle offert est un véritable son et lumière, expliquant un travail plus que pénible qui hypothéquait vers la quarantaine la vie de ceux qui l’exerçaient.

 

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© Traces Ecrites

 

Informations pratiques :

 

• Metallurgic Park : ouvert du 30 mars au 18 novembre, réouverture le 5 avril 2019 ; visites guidées polyglottes sur réservation ; plein tarif de 8 €, gratuit jusqu’à 16 ans ; 13 rue du Maréchal Leclerc, Dommartin-le-Franc ; 03 25 04 07 07 ; connaître les horaires : www.metallurgicpark.fr

 

• Musée de Saint-Dizier : il marie l’archéologie (tombes mérovingiennes), l’ornithologie et la fonte d’art ; 17 rue de la Victoire ; 03 25 07 31 50 ; ouvert de 13h30 à 17h30 du mercredi au dimanche.

 

• Le Paradis à Sommevoire : fonds de modèle d'Antoine Durenne. L’été du vendredi au dimanche de 14h 30 à 18h et lors des Journées du patrimoine. En dehors de cette période, sur rendez-vous au 06 88 15 11 82 et 03 25 55 45 05. www.fontesdart-sommevoire.org

 

Un grand merci au CDT de Haute-Marne d'avoir faciliter ce reportage et tout spécialement à Maxime Lacquit.

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