AVIS D’EXPERTE. Le droit local d’Alsace-Moselle, hérité de la période allemande entre 1870 et 1914, s’invite régulièrement au débat de la présidentielle, au gré des remises en cause par des candidats de gauche de sa disposition la plus célèbre : la non-séparation des Eglises et de l’Etat.

Et des réactions que cette proposition suscite…

Explications avec Laurence Grisey-Martinez, juriste à l’Institut du droit local (IDL) d’Alsace-Moselle, basé à Strasbourg.

Quelles sont les spécificités du droit local dans le domaine social ?

Elles sont au nombre de quatre principalement, qui ont été intégrées pour la plupart dans le Code du Travail (voir les références aux articles en fin de texte). D’abord, le maintien du salaire pendant l’absence du salarié. Le droit local fixe comme principe ce maintien dès le premier jour et sans condition d’ancienneté. Jusqu’à quand ? La rédaction laisse une marge d’appréciation à l’employeur puisqu’elle parle d’une «absence d’une durée relativement sans importance».

La jurisprudence et la pratique conduisent à ce que le maintien du salaire ne pose pas question jusqu’à 15 jours. Au-delà, l’employeur peut prendre en compte le critère de l’ancienneté. Il y a aussi le critère du trouble à l’entreprise, qui serait par exemple lié au caractère stratégique du poste temporairement non occupé, mais il n’a jamais été retenu par un juge pour l’instant. Le juge veille aussi à empêcher les abus que constituerait une succession excessive d’absences et de retours de courte durée. Le maintien vaut pendant six semaines pour les salariés employés par les commerçants à des fonctions au service de la clientèle.

Deuxième particularité : certaines modalités de la clause de non-concurrence. Son montant est précisément fixé par le droit local, contrairement au droit général. Pour appliquer la clause, l’employeur doit verser à son ex-employé au moins la moitié de sa dernière rémunération, pendant deux ans maximum. Mais le cumul de cette somme et de la nouvelle rémunération est plafonné.

Troisième point, la durée d’un préavis est plus favorable au salarié que dans le droit général, elle peut être raccourcie à 15 jours dans certains cas.

Le public connaît surtout les controverses sur le travail du dimanche. Que dit le droit local sur ce point ?

Pour schématiser, il fixe un principe d’interdiction assorti de dérogations, qui a été justifié par le fait de permettre aux travailleurs d’assister aux offices religieux, alors qu’en France dite «de l’intérieur», le repos hebdomadaire vise à reconstituer la force de travail.

La situation de l’Alsace-Moselle est toutefois différente selon le type d’emplois. Dans l’industrie, c’est ce couple interdiction/dérogation qui prévaut depuis toujours et les dérogations sont «de plein droit» (c’est-à-dire dispensées d’autorisation préalable) pour des travaux de maintenance et surveillance de sites. Ce qui explique que les industries chimiques ou métallurgiques peuvent tourner 7 jours sur 7 et 365 jours par an.

Dans le commerce, l’interdiction «de base» vient de dispositions prises par les collectivités (conseils généraux et municipaux) au début du XXème siècle. Elles sont toujours en vigueur. L’exception pour l’ouverture des commerces concerne pour l’essentiel les quatre dimanches avant Noël, ceux du temps liturgique de l’Avent. A souligner que l’interdiction vaut aussi pour l’exploitation : autrement dit, un gérant seul ne peut pas davantage travailler le dimanche que son employé. De telles situations ont été portées devant les tribunaux et confirmées dans ce sens.

Certes, vous me rétorquerez que nombre de boulangeries sont ouvertes le dimanche matin à Strasbourg. Dans l’absolu, c’est illégal, mais de fait, c’est toléré. Certaines professions sont aussi autorisées à travailler le dimanche pour les «travaux ne pouvant être ajournés ou interrompus». On place dans cette catégorie l’hôtellerie-restauration, le tourisme, les voyages, les loisirs. Mais la jurisprudence reste assez restrictive.

L’assouplissement du travail dominical d’une part (loi Maillé de 2009, dont on sait désormais que Nicolas Sarkozy veut aller plus loin), la Journée de solidarité d’autre part, ont-elles modifié la donne ?

La réponse est totalement différente selon les deux cas. Dans le premier, un article a été ajouté à la loi Maillé pour en exclure explicitement l’Alsace-Moselle. Les parlementaires locaux étaient montés au créneau pour cela. Sur le cas de la Journée de la solidarité en revanche, la dérogation a été admise. Elle signifie une brèche dans le non-travail des jours fériés : en Alsace-Moselle, les 13 jours fériés (les 11 «Français» plus le Vendredi Saint et le 26 décembre) sont également chômés, un double statut qui ne bénéficie qu’au 1er Mai en droit général. La Journée de Solidarité ouvre donc une exception par an, que nombre d’enseignes de grande distribution ont utilisée, au gré du jour qui les arrange le mieux chaque année. Restent «sanctuarisés» toutefois le jour de Noël, le jour de Pâques et le dimanche de Pentecôte.

Quelle est la portée de la décision du Conseil constitutionnel sur le travail du dimanche l’été dernier ?

C’est la première fois que le juge constitutionnel a pu se prononcer sur le droit local, suite à la réforme qui introduit la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Celle-ci était posée par un supermarché qui voulait ouvrir le dimanche, invoquant la liberté d’entreprendre et la rupture de l’égalité. Le Conseil Constitutionnel a rejeté ses arguments, il a confirmé le travail dominical et au-delà, le maintien en vigueur du droit local comme principe fondamental des lois de la République. La portée de sa décision est donc d’importance.

Les articles de loi de référence :

- Maintien du salaire pendant l’absence : articles L 1226-23 et L 1226-24 du Code du Travail

- Clause de non-concurrence : articles 74 et suivants du Code de commerce local

- Préavis : articles L 1234-15 et suivants du Code du Travail

- Travail du dimanche : articles L 3134-1 et suivants du Code du Travail

Souscription :

L’IDL lance à un appel à souscription pour son ouvrage « Le Droit local du travail applicable en Alsace-Moselle », rédigé par Jean-Yves Simon, avocat spécialiste en droit local, pour sa version actualisée qui sort fin mars.

Prix : 38 €, hors frais d’envoi de 5 €

Contact : IDL, 8 rue des Ecrivains, BP 60049 - 67 061 Strasbourg Cedex - Tél.: 03 88 35 55 22.

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